第二章Chapitre II
A la découverte des légendes
De toutes les histoires tirées du Kojiki (Chroniques des choses anciennes) qui se passent dans la région d’Izumo, la plus célèbre d’entre elles est probablement « la légende de Yamata no Orochi », où le dieu Susanoo vainc le terrible monstre Yamata no Orochi. D’autres légendes célèbres mettent également en scène le dieu d’Izumo Taisha, Okuninushi, comme « le mythe du Kuniyuzuri » (cession du pays) où il cède ses terres à la déesse Amaterasu ou encore « la légende du lapin nu d’Inaba », où il vient au secours d’un lapin dont la peau a été dévorée par des requins.
Dans Izumo no kuni fudoki, un rapport compilé en 733 décrivant la géographie, l’histoire, les mythes, coutumes et traditions orales de la province d’Izumo, il est raconté « la légende du Kunibiki » (tirer les terres), dans laquelle un dieu rassemble des terres en les tirant à l’aide d’une corde pour former le pays. Ce livre raconte également l’établissement du sanctuaire Izumo Taisha ainsi que d’autres récits sur les origines du Japon. Dans beaucoup de ces histoires, Izumo est la scène où se déroule l’action.
Visiter Izumo et sa région sera une véritable plongée au cœur des origines du Japon et de sa mythologie.
Avant de poursuivre votre lecture et de vous aventurer plus loin sur la terre des légendes japonaises, gardez en tête que les noms des dieux et des endroits peuvent varier suivant l’époque, le lieu et suivant les sources, ce qui peut compliquer la compréhension de certaines histoires.
Il peut s’agir simplement d’une légère variation dans la prononciation japonaise d’un nom, par exemple Yagamihime devenant Yakamihime, Suserihime devenant Suseribime, Izanagi devenant Izanaki, etc. Dans les histoires qui nous intéressent ici, le champion incontesté du plus grand nombre de noms attribués est Okuninushi : il a cinq noms différents juste dans le Kojiki et on le retrouve encore sous sept noms différents dans le Nihon shoki ! Cerise sur le gâteau, dû au syncrétisme qui a eu lieu au Japon entre Shintoïsme et Bouddhisme, il est également appelé Daikoku-sama, le dieu de la fortune. En effet, les caractères chinois qui composent le nom d’Okuninushi peuvent se lire de la même manière que le nom de la divinité bouddhique appelée Daikokuten. C'est à cause de cela qu’on a commencé à penser qu’il s’agissait de la même divinité.
Afin de simplifier la lecture, nous essaierons d’utiliser dans les histoires qui vont suivre le nom le plus fréquemment employé. Etes-vous prêt à plonger dans le monde étrange et compliqué des légendes japonaises ?
A la découverte de la mythologie japonaise, première légende : « Yamata no Orochi »
La véritable nature du serpent géant à huit têtes qui attaquait régulièrement Izumo...
Le plus ancien texte relatant l’histoire du Japon, le Kojiki (Chroniques des choses anciennes), a été offert à l’empératrice Genmei par O no Yasumaro en l’an 5 de l’ère Wado (712). Les récits qu’il contient vont de la création du Japon au règne de l’impératrice Suiko.x
La légende de Yamata no Orochi est une des légendes concernant Izumo qui se trouve dans le premier volume.
Parmi tous les dieux du panthéon shinto, Susanoo no Mikoto en est un qui se fait particulièrement remarquer. Il est d’un tempérament brutal, violent et très viril... couplé à un caractère compliqué qui ne fait pas penser à un dieu, c’est son côté humain qui lui a donné un certain attrait et l’a fait largement connaître.
La légende de Yamata no Orochi commence par le bannissement de Susanoo.
Susanoo, pleurant sans cesse sa mère disparue qu’il voulait revoir, refusait d’obéir aux ordres de son père et fut bannit par ce dernier. Il se rend donc chez sa sœur, la déesse du soleil Amaterasu Omikami, qui vit dans le Takamagahara (le royaume des dieux), mais à force de semer le trouble à cause de son comportement, Susanoo provoque une fois de trop Amaterasu qui finit par se cacher dans la grotte Ama no Iwayato. Comme la déesse du soleil se cachait, le monde fut plongé dans les ténèbres et le malheur s’abattit sur terre. Les dieux du Takamagahara, après avoir trouvé un moyen pour faire sortir Amaterasu de sa cachette, bannirent Susanoo.
Susanoo descendit alors dans un endroit appelé Torikami, situé à Okuizumo (Shimane), qui est aujourd’hui le Mont Sentsu, connu pour abriter la source du fleuve Hiikawa. Après avoir marché pendant un moment, il tombe sur la belle Kushinadahime et ses parents, en train de pleurer. Susanoo demande au couple ce qui leur arrive et ces derniers expliquent que le terrible Yamata no Orochi va bientôt venir pour dévorer leur fille. Susanoo leur promet d’éliminer le monstre, en échange de la main de Kushinadahime.
Voici une description du monstre tirée du Kojiki :
« Orochi a de grands yeux rouges, et un seul corps pour huit têtes et huit queues. De la mousse recouvre son corps où cyprès et cèdres poussent. Il dépasse huit montagnes et est aussi long que huit vallées. Son ventre est toujours enflammé et trempé de sang. »
Le fleuve qui était craint comme Orochi
Il existe beaucoup d’interprétations de la légende de Yamata no Orochi. Cependant, l’une des réponses les plus probables serait que le corps de ce serpent géant représenterait en fait le fleuve Hiikawa, qui était connu et craint pour ses crues à répétition.
L’endroit où Susanoo serait descendu sur terre se situe là où le fleuve Hiikawa prend sa source, à Torikami (Okuizumo). On pense que la ville d’Okuizumo est fortement liée à cette légende, car elle est réputée pour ses traditionnelles forges d’acier Tatara. Pour la fabrication de l’acier Tatara, on utilise une ancienne méthode où de l’air est envoyé dans les fours à l’aide de soufflets.
Afin d’avoir du charbon de bois en suffisance pour faire tourner les forges, des arbres étaient coupés en masse, ce qui provoquait des inondations. De plus, lorsque l’on récupérait les sables ferrugineux nécessaires à la fabrication de l’acier, l’eau de la rivière se troublait en prenant une couleur rouge et ces impuretés provoquaient des dégâts en aval de Hiikawa et des alentours du fleuve. Quant à Kushinadahime, elle symboliserait les rizières qui étaient chaque année détruites à cause des débordements du fleuve.
A Okuizumo, du côté de la région d’Unnan, les endroits qui rappellent la légende de Yamata no Orochi ne manquent pas. On y trouve par exemple le sanctuaire Inada Jinja, qui vénère Kushinadahime, ainsi que Suga Jinja, sanctuaire considéré comme la nouvelle demeure de Susanoo et Kushinadahime.
On peut observer des bancs de sable à plusieurs endroits du fleuve Hiikawa qui traverse la ville d’Izumo, ces bancs de sable forment de grands motifs qui font penser à des écailles de serpent. Le lit du fleuve serpente, de chaque côté les arbres poussent en abondance et l’eau s’écoule paisiblement jusqu’à la mer. Aujourd’hui cette image d’un long fleuve tranquille ne colle pas à l’image du monstre, mais s’il venait à déborder à nouveau peut-être y verrions-nous ce terrible Orochi ?
Il s’agit ici d’une explication parmi tant d’autres de cette fameuse légende de Yamata no Orochi et il n’existe pas de moyen qui nous permettrait de connaître la vérité, mais c’est aussi cela qui nous permet d’imaginer cette grande fresque dramatique.
Viendrez-vous visiter cette région, comme Susanoo l’a fait autrefois ?
A la découverte de la mythologie japonaise, deuxième légende : « Kuniyuzuri »
Pourquoi a-t-on construit Izumo Taisha ? La réponse se trouve dans cette légende, où les dieux se disputent le contrôle du pays.
Il y a bien longtemps, le pays d’Izumo était gouverné par un dieu nommé Okuninushi no Okami. Cependant, la déesse Amaterasu Omikami, qui régnait sur le royaume des cieux, observant cela, en vint à penser que ses enfants devraient gouverner Ashihara no Nakatsukuni*.
*Il existe plusieurs explications concernant Ashihara no Nakatsukuni, mais ici cela désigne la région d’Izumo.
Amaterasu envoya Amenohohi sur ces mots : « Va, et soumets tous les dieux qui sont sur terre ». Mais Amenohohi, épris de respect pour Okuninushi, choisit de devenir son vassal et ne revint jamais au royaume des cieux.
Amaterasu choisit alors un nouvel émissaire, Amenowakahiko, mais la fille d’Okuninushi vola le cœur de ce dernier, qui décida de s’installer sur terre et d’y bâtir un palais. Voulant savoir ce qu’il se passait, Amaterasu envoya sur terre un faisan du nom de Nakime, mais il se fit tuer par Amenowakahiko.
Comme aucun des émissaires d’Amaterasu ne revenait, elle décida de résoudre ce problème par la force et envoya deux dieux : Takemikazuchi, qui tirait fierté de sa force, et le véloce Amenotorifune.
Les dieux descendirent sur la plage Izasa no Hama du pays d’Izumo (actuelle Inasa no Hama), plantèrent leurs épées dans le sable, s’assirent sur le manche en tailleur et attendirent.
Les émissaires d’Amaterasu s’adressèrent d’une voix forte à Okuninushi : « Nous sommes venus sur les ordres de la déesse Amaterasu. Elle souhaite que la gouvernance d’Ashihara no Nakatsukuni soit confiée à ses enfants. Toi, qu’en dis-tu ? ».
Okuninushi leur répondit : « Je ne peux pas décider de cela tout seul. Mon fils Kotoshironushi vous donnera une réponse, mais pour le moment il est absent. Il est parti au cap de Miho, chasser des oiseaux et pêcher des poissons. »
Takemikazuchi envoya Amenotorifune au cap de Miho, et quand il demanda à Kotoshironushi ce qu’il pensait à propos de la cession du pays, ce dernier répondit : « Nous ferons comme tu le proposes, nous donnerons ce pays aux enfants de la déesse Amaterasu ».
C’est à ce moment-là qu’un autre fils d’Okuninushi, le puissant Takeminakata, apparut sur la plage portant un énorme rocher. « Si vous voulez ce pays, voyons qui est le plus fort » dit Takeminakata, lançant le rocher qu’il tenait au loin, puis saisissant le bras de Takemikazushi.
Aussitôt, le bras de Takemikazuchi se changea en un pilier de glace et une épée tranchante. Sur le coup de la surprise Takeminakata recula, mais cette fois-ci ce fut Takemikazuchi qui lui saisit le bras. Takemikazuchi lui tordit légèrement le bras et Takeminakata fut jeté à terre. Envahi par la peur, Takeminakata prit la fuite.
Takemikazuchi se lança à sa poursuite et retrouva sa trace à Shinano no Kuni (actuel département de Nagano), il l’attrapa et le plaqua au sol près du lac Suwa.
Takeminakata supplia son assaillant de lui laisser la vie sauve : « Je jure de ne plus quitter le pays de Suwa. Je cède Ashihara no Nanatsukuni tout entier, alors épargne ma vie ».
Takemikazuchi retourna à Izumo et raconta à Okuninushi ce qu’il s’était passé. Okuninushi déclara alors : « J’accède à votre requête et cède ce pays. En échange, je veux un sanctuaire semblable au palais d’Amaterasu dans le royaume des cieux ».
Takemikazuchi accepta cette condition et construisit un immense sanctuaire pour Okuninushi. Il est dit que ce sanctuaire n’est autre qu’Izumo Taisha.
Cette légende est racontée dans le Kojiki (Chroniques des choses anciennes) et dans le Nihon shoki (Les chroniques du Japon), tous deux compilés au 8ᵉ siècle.
Parmi tous les mythes qui comportent des thèmes universels et des récits fantastiques, celui de Kuniyuzuri distille un arrière-goût de tactiques politiques et de sentiments humains dont l’écho résonne encore aujourd’hui.
Quels sentiments habitaient les protagonistes de cette légende ? Amaterasu, qui voulant à tout prix obtenir Ashihara no Nakatsukuni envoya des émissaires les uns après les autres, Kotoshironushi, qui donna son accord très facilement, Takeminakata, qui essaya de défendre son pays sans y parvenir, et Okuninushi, qui finalement accepta de le remettre... En nous promenant sur la plage où cette légende a pris forme, repensons à cette histoire et imaginons ce que ces personnages légendaires ont pu ressentir.
A la découverte de la mythologie japonaise, troisième légende : « Kunibiki »
Séparer les terres et les rassembler, voilà la vraie force des dieux.
Il y a fort longtemps, Yatsukamizuomizunu, le dieu qui créa Izumo, parcouru des yeux ce pays et songea : « Ce pays est trop étroit, comme une longue et fine pièce d’étoffe. Trouvons d’autres terres à rapiécer pour l’agrandir. »
Alors qu’il cherchait des terres qui n’étaient pas utilisées, il vit au loin les terres inoccupées de Shiragi sur la péninsule coréenne. Le dieu prit une bêche géante, et comme s’il donnait un coup dans un énorme poisson, il enfonça la bêche dans la terre. Puis, comme s’il déchiquetait la chair de ce poisson, il défricha la terre et la détacha du reste.
Ensuite, il l’entoura d’une solide corde tressée et tout en prononçant les mots « Kuni-yo, koi ! » (« viens ici, terre ») il tira sur la corde de toutes ces forces. La terre se mit à bouger doucement, tel un bateau qui avance tranquillement sur les flots, pour venir finalement se loger sur le pays d’Izumo.
Cette nouvelle terre fusionnée avec le pays d’Izumo fut nommée Kizuki no Misaki, aujourd’hui elle correspondrait à la partie qui s’étend de Kozu-cho à Hinomisaki. La corde dont s’était servi le dieu devint la plage Sono no Nagahama (actuelle Inasa no Hama) et le piquet auquel elle avait été attachée devint le mont Sahimeyama (l’actuel mont Sanbe).
Après cela, il fit de même pour ajouter au nord de la région les terres de Sada (actuellement de Kozu jusqu’à l’est de Kashima-cho) et de Kurami (actuel Shimane-cho à Matsue, aussi appelé « Yomi no Kuni »), puis termina en faisant venir une terre de Koshi, de la région Hokuriku, qui devint Miho no Saki (actuel Mihonoseki-cho à Matsue).
Le piquet sur lequel le dieu avait attaché sa corde devint Hinokamitake du pays de Hoki (actuel mont Daisen) et la corde qui servit à tirer à lui les terres devint Yominoshima (actuelle plage de Yumigahama).
« J’ai fini de rassembler les terres », dit alors le dieu, qui planta sa canne dans le sol et s’exclama d’un final « Oe ! » (qu’on pourrait traduire par « voilà » ou « fini »). Cet endroit est depuis appelé Oe.
Le mythe du Kunibiki (littéralement « tirer vers soi les terres ») est le premier récit de l’ouvrage Izumo no kuni fudoki, et son personnage principal, le dieu Yatsukamizuomizunu, se trouve être le dieu qui est vénéré au sanctuaire de Nagahama.
L’étrange concordance entre les scènes des mythes, les noms de lieux et la topographie.
Parmi tous les mythes concernant Izumo, la légende du Kunibiki, qui ouvre le recueil Izumo no kuni fudoki, délivre un récit à l’échelle gigantesque contenant des actions que seul un dieu à la force titanesque pourrait accomplir.
A la première lecture on pourrait très facilement se dire que ce n’est qu’une fiction, mais il semble y avoir bien plus que cela. Notamment parce que tous les lieux qui sont mentionnés dans cette légende correspondent à la topographie et aux noms des lieux d’aujourd’hui.
Si vous observez une carte de la région, vous verrez qu’Izumo se trouvre au sud des lacs Shinji et Nakaumi. Au nord, la péninsule de Shimane s’étire d’est en ouest et est divisée en quatre grandes régions. On y retrouve plusieurs endroits qui correspondent à des lieux de la légende, tels les monts Daisen et Sanbe, qui ont servi de piquets au dieu, et les cordes devenues les plages de Sono no Nagahama et Yominoshima.
Il existe une théorie selon laquelle la péninsule de Shimane était sous la mer à l’époque Jomon (environ -14 000 à -800 avant J.-C.), et bien que l’on doive la topographie actuelle à un phénomène naturel, on ne peut qu’être impressionné par l’imagination dont a fait preuve le peuple de cette époque en l’interprétant comme l’œuvre d’un dieu.
Si depuis Izumo vous regardez vers le nord, vous pourrez avoir un aperçu de la péninsule de Shimane, avec la chaîne de petites montagnes qui s’étend de l’est à l’ouest au delà du lac Shinji. Essayez alors d’imaginer la force du dieu de cette légende, séparant puis rassemblant toutes ces terres.
A propos de l’ouvrage Izumo no kuni fudoki :
Un recueil sur la province d’Izumo compilé en 733. Plusieurs choses y sont répertoriées, entre autres : l’origine de noms de lieux, des descriptions géographiques, denrées locales et traditions orales. L’original a été perdu, mais des copies subsistent encore aujourd’hui. Ce qu’on appelle « fudoki » ce sont d’anciens rapports décrivant une région du Japon, sa géographie, sa culture et ses traditions orales. Seulement cinq fudoki sont parvenus jusqu’à nous (Hitachi, Harima, Hizen, Bungo et Izumo), mais parmi eux, seul celui d’Izumo est pratiquement complet.