Au Japon, le mois d’octobre est traditionnellement appelé Kan-na-zuki ou « le mois où les dieux sont absents ». Ce nom tient au fait que les dieux se sont retrouvés à Izumo pour leur réunion annuelle. Mais à Izumo, le mois d’octobre est appelé Kami-ari-tsuki, « le mois où tous les dieux sont là ». J’ai eu la chance de m’y rendre au mois d’octobre. Lorsque je suis entrée dans Izumo, une petite ville côtière entourée d’une mer imprévisible et de vastes zones montagneuses, j’ai eu la sensation que la ville était un lieu sacré, le lieu où se réunissaient les 8 millions de dieux.
Écrire à propos du lien sacré qui unit les dieux à la ville d’Izumo ne faisait pas directement partie de ma mission, mais toutes les expériences que j’y ai faites, des randonnées en montagne aux barbecues en extérieur, me paraissaient toutes aussi sacrées qu’une visite dans un sanctuaire. Le sanctuaire d’Izumo constitue le cœur de la ville, où l’importance des anciennes croyances Shinto est visible partout, même dans le slogan qu’on pouvait lire sur les T-shirts des employés de l’office du tourisme : Kamisama to issho-ni (« avec les dieux »).
Première activité de la journée : une randonnée sur le majestueux mont Takao
Haut de 358 mètres, le mont Takao se situe à Hinomisaki, une ville pittoresque en bord de mer à Izumo réputée pour ses vues à couper le souffle sur l’océan et l’historique phare d’Izumo Hinomisaki. Notre groupe est parti de l’office du tourisme de Hinomisaki peu après 10 heures du matin. Les 9 premiers kilomètres de notre randonnée, 4 heures aller-retour, nous emmenèrent au village endormi de pêcheurs d’Uryu, où la mer était inhabituellement agitée en dépit de cieux clairs et d’eaux bleu cristal. Ces paysages incroyables et le mystérieux portail torii à l’autre bout du port exacerbaient mon sentiment d’excitation.
Les trente premières minutes de la randonnée qui menaient jusqu’au sommet du mont Takao étaient un véritable défi. Le chemin n’avait pas été nettoyé et l’accumulation de branches tombées, de feuilles, de pierres et d’herbes sur le sentier me donna l’impression que j’avais beaucoup plus de mal à marcher que d’habitude. Mais cela me faisait aussi me sentir vivante. J’avais vraiment l’impression de me trouver au cœur de la nature, empruntant non pas un sentier artificiel, mais effectuant une randonnée de montagne, comme elle devrait l’être.
La partie la plus difficile de la randonnée derrière nous, nous fîmes pause au col d’Uryu. C’est là que je remarquai une corde simple shimenawa suspendue entre deux arbres. Une shimenawa est une corde torsadée faite de paille de riz et de chanvre que l’on aperçoit souvent dans les sanctuaires japonais. Elle sépare symboliquement le sacré du profane. On dit que la shimenawa que j’ai découverte marquerait la frontière qui sépare Uryu du village voisin. Selon une légende locale, tandis que la plupart des shimenawa sont longues de 8 hiro, celle-ci ne mesurait que 7,5 hiro. (un hiro correspond grosso modo à l’espace entre les deux bras tendus d’un adulte). La légende voulait que la statue bouddhique d’o-jizosama d’Uryu mette fréquemment un terme aux relations humaines toxiques. La shimenawa que l’on trouve ici a été conçue délibérément plus courte que d’ordinaire afin d’illustrer cette légende.
Une courte randonnée de 5 minutes hors des sentiers battus nous mena à un petit sanctuaire qui abritait plusieurs de ces statues o-jizosama. Aux quatre coins du Japon, ces statues seraient les gardiennes des voyageurs et des enfants. Les statues o-jizosama ont été disposées au mont Takao par des résidents qui empruntent régulièrement le sentier de randonnée pour s’assurer qu’elles sont bien entretenues.
Après une courte halte, nous poursuivîmes notre périple jusqu’au mont Takao, qui devint un peu plus facile à suivre, permettant à notre guide de nous présenter la passionnante flore qui donne au mont Takao tout son charme. J’étais impressionnée non seulement par l’étendue des connaissances de notre guide, mais également par l’affection évidente qu’elle éprouvait pour cette montagne et les villages qui l’entourent.
À mi-chemin, nous tombâmes soudain sur des vestiges d'activité humaine : des fondations en béton de bâtiments et des rivets en métal, preuves que cette zone avait été habitée à une certaine époque. Nous découvrîmes ce qui semblait être un simple four en béton pour la cuisine, quelques emplacements pour l’hébergement, et un endroit où se trouvait jadis un canon. C'est ce canon qui m'a mis sur une piste : il s'agissait d'une zone cachée utilisée par les soldats japonais pour combattre l'ennemi pendant la Seconde Guerre mondiale. Hors d’haleine, quelle ne fut pas ma surprise lorsque je vis que quelqu'un avait transporté des tonnes de béton et de métal jusqu'au sommet de la montagne pour bâtir ces installations !
Il s'avéra que ces transporteurs à la force herculéenne étaient en fait des élèves de l'école primaire locale. Les plus âgés portaient le béton et autres matériaux lourds sur leur dos, les plus jeunes des fournitures plus légères. En regardant mes solides chaussures de randonnée, je me mis à imaginer ces enfants robustes portant leurs charges dans la montagne avec aux pieds de simples sandales de paille. Puis je les imaginai les redescendant à la fin de la guerre. Les matériaux utilisés pour la construction de la base militaire du mont Takao ont été réutilisés pour celle d’écoles et autres installations après la guerre. C'est pour moi un parfait exemple de l'esprit mottainai, anti-gaspillage, japonais.
En chemin, notre guide nous a donné quelques exemples de jonctions colonnaires particulièrement répandues dans la région de Hinomisaki.
Les jonctions colonnaires sont des colonnes géométriques de roche formées à partir de la lave rejetée lors d’éruptions volcaniques sous-marines. Une fois que la lave a refroidi se forment ces roches distinctes aux sections transversales variées. Si, à première vue, elles peuvent ressembler à des roches tout à fait communes, leur forme unique vous indique rapidement que ce n’est pas le cas. Certaines colonnes de roches ont des formes carrées, d'autres plutôt pentagonales ou hexagonales. Ces colonnes de roches spectaculaires et l'histoire volcanique qui leur est liée confèrent à la région de Hinomisaki son caractère unique et des gens viennent de tout le Japon pour voir ces trésors géologiques.
Après plus de deux heures de marche, nous atteignîmes enfin le sommet du mont Takao. Trouvant un second souffle, je courus les dix derniers mètres qui me séparaient du sommet, impatiente de voir la vue qui m'attendait, j’en étais sûre, à couper le souffle. Et je ne fus pas déçue. La vue sur la mer du Japon depuis le sommet du mont Takao était vraiment époustouflante. Sur la gauche, on apercevait le phare historique d'Izumo Hinomisaki. Les pittoresques villages de pêcheurs entourés par la mer ressemblaient à un paysage de carte postale. L'ascension de la montagne était un peu difficile, mais une fois au sommet, j’oubliai bien vite à quel point mes jambes ne me portaient plus et me contentai de m’immerger dans la beauté de la nature. Cette randonnée sur le paisible et majestueux mont Takao était exactement ce dont j'avais besoin pour rafraîchir mon corps et mon esprit fatigués.
Littéralement affamée après cette randonnée sur le mont Takao, je tombai par hasard sur un charmant petit restaurant de tempura à Izumo.
Une fois assise à ma table au restaurant Tempura Misato, je commençai à faire l'expérience de l’esprit d'hospitalité japonais, le fameux omotenashi. Le restaurant était géré par un couple de locaux et la femme arborait un magnifique kimono japonais. Elle apporta du thé chaud et des okazu – des coupelles de légumes simples servis en début de repas. Le plat principal était le tendon, un bol de riz de tempura. Des crevettes, du poulet et des légumes frits bien chauds étaient disposés sur un bol de riz blanc encore fumant. C'était l'un des plus grands bols de riz que je n’avais jamais vus.
L’extraordinaire nourriture et l’incroyable hospitalité, en firent l'une des meilleures expériences culinaires de ma vie. De la première gorgée de thé au dernier grain de riz, tout le repas était absolument parfait. La nourriture, la bière, le thé chaud, l'atmosphère et, surtout, le légendaire esprit japonais omotenashi qui habitait l’âme des propriétaires du restaurant Tempura Misato rendirent cette expérience inoubliable. L'esprit d'Izumo ne vit pas seulement dans les anciens sanctuaires, les majestueuses montagnes ou le bleu profond de la mer, mais aussi dans les personnes incroyables qui y habitent.
Notre prochaine halte était à Sagiura, un village de pêcheurs digne d’une carte postale, comptant à peine plus de 100 habitants.
Les rues de cette petite ville charmante sont bordées de maisons japonaises traditionnelles appelées kominka. C'est dans l'une de ces kominka, Wajimaya, que nous fîmes l'expérience des activités que j'attendais le plus : le kayak de mer et le barbecue. J'avais certes déjà fait du kayak de rivière aux États-Unis avec mon frère, mais cela n’avait certainement rien à voir avec le kayak sur la mer du Japon.
Malheureusement, rien de tout cela n’allait avoir lieu. La mer était trop agitée pour la saison pour faire du kayak, si bien que nous fûmes forcés d’annuler notre excursion. Voici une photo de moi faisant la grimace.
Cependant, malgré ma déception, je pus ressentir la puissance et le charme d'Izumo. Cette ville est à la merci de tous les caprices de la nature et des dieux qui l'habitent. Peu importe à quel point je voulais faire du kayak de mer, quand la nature dit non, c’est non. Après mes nombreuses années passées au Japon, j'ai constaté que j'avais adopté la mentalité « naru yo ni shika naranai » ou « ce qui doit arriver arrivera ». L'acceptation de cette réalité est l'un des facteurs à l’origine de l'incroyable résilience et de la force du peuple japonais. Une fois ma déception passée, je commençai à penser à l'appétissant barbecue qui m'attendait.
En pénétrant dans Wajimaya, une kominka vieille de 200 ans, j'eus l'impression de voyager dans le temps. Cette kominka servait autrefois d'auberge pour les marins de la préfecture d'Ishikawa, et je pouvais ressentir l’histoire en foulant ses magnifiques tatamis de paille et en faisant coulisser ses portes coulissantes fusuma en papier de riz.
La vue sur la baie de Sagiura depuis Wajimaya est littéralement à couper le souffle. De l'autre côté de la baie se trouvent des grottes que l'on peut explorer à bord de bateaux de pêche locaux lorsque la mer est calme. Tout près, il y a une crique qui donne la sensation d’une plage privée, et c'est de cette plage que notre aventure en kayak de mer que j’avais tant attendue devait commencer.
Mon endroit préféré dans les maisons traditionnelles japonaises, c'est le tokonoma ; une enclave dans les pièces de style japonais réservée à une œuvre d'art ou à l'objet le plus vénéré de la maison. Beaucoup d’habitations modernes ne sont pas construites pour abriter un tokonoma. Faire l'expérience de la paix apaisante apportée par le tokonoma dans les maisons traditionnelles comme Wajimaya constitua l'un des meilleurs moments de la visite de cette kominka. Le rez-de-chaussée de Wajimaya peut être loué pour la modique somme de 3000 yens pour le premier jour et de 2500 yens pour chaque jour supplémentaire.
À Wajimaya, nous avons fait griller au barbecue des délices de la mer comme des crevettes, des pétoncles et des coquilles turban (sazae). Nous avons aussi fait cuire du poulet, du bœuf et du porc de la région, et des légumes frais comme de la citrouille, de l'oignon et du poivron vert. Alors que je contemplais le paysage incroyable entourant la kominka tout en dégustant les spécialités locales fraîchement grillées, je sentis à nouveau un sentiment de paix descendre sur moi, un sentiment de paix que j'avais ressenti à maintes reprises depuis mon arrivée à Izumo.
Cette expérience de kayak de mer et de barbecue, je la dois à M. Abe, originaire d'Izumo. Plus de 70 ans, mais la vivacité et l’énergie d’un étudiant. Après avoir passé de nombreuses années à Osaka, M. Abe a senti l’appel de sa ville natale de travailler à la revitalisation de la région. Il fit l’acquisition de cette kominka et la transforma en un lieu destiné à donner aux visiteurs du Japon et d’ailleurs un aperçu de la beauté d'Izumo, ainsi qu'à contribuer à la croissance de l'économie locale. La passion de M. Abe et sa dévotion pour sa ville natale m’ont touchée, ainsi que son incroyable ouverture d'esprit. Si chacun accueillait l’autre comme le fait M. Abe, le monde serait bien meilleur.
C’est M. Abe qui supervise les excursions en kayak de mer, donc lors de votre arrivée à Wajimaya, ce sera l’occasion pour vous de non seulement découvrir la beauté de la nature et l'atmosphère paisible de Sagiura, mais vous aurez également l'honneur de rencontrer cet homme très spécial.
Impression finale
Il existe un mot en japonais qui est difficile à traduire en français : iyashi. Il signifie « guérison » ou « calme ». Que je fasse une randonnée sur le mont Takao, que je visite les sanctuaires locaux, ou que je déguste des aliments frais locaux tout en contemplant des paysages à couper le souffle, je faisais toujours l'expérience du iyashi. Mon corps et mon esprit se sont sentis comme rafraîchis pendant mon séjour à Izumo.
Conseil et récapitulatif
Le mois d’octobre à Izumo était beaucoup plus froid que je ne l’avais imaginé. Alors, veillez à vous habiller bien chaudement ! Soyez également prévoyant ; comme il s'agit d'une zone rurale entourée par la nature, soyez prêt à des changements de plan de dernière minute en raison de la météo qui est très changeante.